Transition énergétique

Les petits réacteurs modulaires peuvent-ils réellement stabiliser le réseau français sans repousser la transition vers les renouvelables

Les petits réacteurs modulaires peuvent-ils réellement stabiliser le réseau français sans repousser la transition vers les renouvelables

Quand on parle de stabiliser le réseau électrique français, les petits réacteurs modulaires (SMR) reviennent souvent dans les conversations — souvent présentés comme une sorte de « solution miracle » pour fournir une énergie pilotable, faible en émissions et compatible avec un mix électrique décarboné. En tant que personne qui suit de près la transition énergétique, je suis partagée : les SMR ont des qualités indéniables, mais il faut les regarder sans angélisme pour éviter qu'ils ne deviennent un prétexte à ralentir le déploiement des renouvelables et des solutions de flexibilité.

Ce que les SMR apportent au réseau

Les SMR sont conçus pour produire de l'électricité de manière continue (haute capacity factor) tout en étant plus compacts et modulaires que les réacteurs nucléaires traditionnels. Concrètement, voilà ce qu'ils peuvent offrir au réseau :

  • Production pilotable bas-carbone : contrairement à l'éolien ou au solaire, un SMR peut fournir une puissance stable et gérée pour couvrir les besoins de base ou aider à compenser des chutes d'approvisionnement.
  • Modularité et déploiement progressif : l'idée est d'assembler plusieurs modules pour atteindre la puissance souhaitée, ce qui permet une montée en capacité plus graduelle et, théoriquement, une meilleure maîtrise des coûts.
  • Services systèmes : inertie, réglage de fréquence, réserve primaire/secondaire — des services essentiels pour éviter des blackouts et maintenir la qualité de la tension.
  • Potentiel multi-usage : production de chaleur industrielle ou d'hydrogène à haute température, ce qui peut aider à décarboner des secteurs difficilement électrifiables.
  • Les limites et risques à prendre en compte

    Toutefois, l'attrait des SMR ne doit pas masquer plusieurs limites concrètes :

  • Délai de déploiement et apprentissage industriel : même si un SMR est « petit », il faut encore construire une filière (usines, chaînes d'approvisionnement, compétences). En France, le projet Nuward (conçu par EDF et Framatome, entre autres acteurs) nécessite des tests, des certifications et une industrialisation qui prendront du temps.
  • Coût réel incertain : les fabricants promettent des économies d'échelle grâce à la répétition des unités, mais l'expérience internationale (y compris sur des SMR et des réacteurs traditionnels) montre que les coûts peuvent rester élevés et varier fortement selon le contexte industriel et réglementaire.
  • Flexibilité opérationnelle limitée : comparés aux turbines à gaz ou à certaines solutions de stockage, la capacité de modulation rapide des SMR pourrait être moins performante. Ils sont plutôt pensés pour un fonctionnement base-load ou pour des variations lentes.
  • Risques de cannibalisation politique et financière : investir massivement dans une filière SMR au détriment d'un soutien fort aux renouvelables, au stockage ou aux réseaux intelligents serait une erreur stratégique.
  • Peuvent-ils stabiliser le réseau sans freiner les renouvelables ?

    Ma réponse courte : oui, mais seulement si plusieurs conditions sont réunies. Permettez-moi d'expliciter ce point.

    Les SMR sont complémentaires aux renouvelables. Là où l'éolien et le solaire injectent de l'énergie intermittente et souvent imprévisible, des unités pilotables permettent de garantir la sécurité d'approvisionnement. Mais cette complémentarité n'est pas automatique : elle dépend du mode d'intégration, des priorités d'investissement et du cadre réglementaire.

    Conditions pour une intégration vertueuse

    Voici, selon moi, les éléments indispensables pour que les SMR stabilisent le réseau sans freiner la transition :

  • Prioriser les marchés de services système : les SMR doivent participer aux marchés de réserve et de régulation, pas seulement vendre de l'électricité constante. Cela passe par des règles claires sur la rémunération des services système (réserve primaire, régulation, inertie marché).
  • Ne pas substituer les renouvelables : les objectifs nationaux et locaux doivent garantir des quotas/allocations de budget pour le solaire, l'éolien et le stockage afin que les SMR ne captent pas l'essentiel des financements publics ou privés disponibles.
  • Planification territoriale intelligente : installer des SMR là où ils apportent un vrai bénéfice (proximité d'industries à forte demande de chaleur, régions isolées avec intermittence élevée) plutôt que dans toutes les régions sans discrimination.
  • Développement simultané des flexibilités : stockage électrique (batteries, STEP), pilotage de la demande, interconnexions européennes et production d'hydrogène doivent être développés en parallèle pour réduire la dépendance à des centrales pilotables lourdes.
  • Transparence sur les coûts et la sécurité : audit indépendant des coûts complets (construction, exploitation, déconstruction, gestion des déchets) pour éviter des surprises budgétaires qui feraient basculer des décisions politiques.
  • Comparaison synthétique

    AtoutSMRRenouvelables + stockage
    Production bas-carboneOui, continueOui, intermittente mais compatible
    Flexibilité à court termeModéréeÉlevée (avec stockage et gestion de la demande)
    Temps de déploiementMoyen/long (industrialisation nécessaire)Variable — solaire rapide, éolien parfois long (permis)
    Coût à horizonIncertain, potentiellement élevéDe plus en plus compétitif, coûts en baisse

    Exemples concrets et retours d'expérience

    Sur la scène internationale, NuScale (États-Unis), Rolls-Royce (Royaume‑Uni) ou GE Hitachi ont avancé des prototypes et des projets pilotes. En France, le projet Nuward — porté par EDF et Framatome — est présenté comme une réponse nationale, mais il reste à démontrer sur la durée et l'échelle industrielle. Ce qui me paraît intéressant, c'est le rôle potentiel des SMR pour des usages complémentaires : fourniture de chaleur industrielle, couplage à des process d'hydrogène, ou sécurisation de sites isolés.

    Ce que j'observe sur le plan politique et économique

    Les décideurs publics semblent tentés par une stratégie « nucléaire + renouvelables ». C'est logique sur le papier : on veut couvrir toutes les options. Mais la mise en œuvre compte — et la tentation d'affecter une part disproportionnée des moyens à la filière SMR existe. Pour que la balance penche en faveur d'une transition réellement durable, il faut des mécanismes incitatifs qui valorisent la flexibilité, la rapidité de déploiement et la réduction des émissions sur l'ensemble du cycle de vie.

    Quelques scénarios plausibles

  • Scénario 1 — Intégration équilibrée : la France développe une filière SMR maîtrisée, en parallèle d'un fort déploiement des renouvelables et du stockage. Les SMR servent d'appoint stratégique, notamment pour la chaleur industrielle et la stabilité locale.
  • Scénario 2 — Priorité nucléaire : une grande partie des ressources est dédiée aux SMR au détriment des renouvelables : risque de ralentissement du déploiement solaire/éolien, hausse des coûts et dépendance à une technologie centralisée.
  • Scénario 3 — Renouvelables premières : la filière SMR reste marginale et se concentre sur des niches (sites isolés, industries), tandis que le réseau s'appuie principalement sur la flexibilité et le stockage pour absorber l'intermittence.
  • Pour ma part, je plaide pour le scénario équilibré — pragmatique et flexible — en évitant les choix irréversibles qui enfermeraient la transition dans une voie unique. Les SMR peuvent jouer un rôle stabilisateur, mais uniquement s'ils sont intégrés dans une stratégie systémique qui encourage aussi le solaire, l'éolien, le stockage, les réseaux intelligents et la sobriété. Sans cela, le risque est réel : les SMR pourraient devenir une béquille coûteuse qui retarde l'adaptation du système électrique aux nouvelles dynamiques de production et de consommation.

    Vous devriez également consulter les actualités suivante :

    Peut-on remplacer le diesel des poids lourds par de l'hydrogène vert ou l'électrification reste-t-elle plus pertinente sur les trajets longs

    Peut-on remplacer le diesel des poids lourds par de l'hydrogène vert ou l'électrification reste-t-elle plus pertinente sur les trajets longs

    Quand on parle de décarbonation du transport routier, la question revient sans cesse : peut-on...

    06 Dec