Quand on parle de décarbonation du transport routier, la question revient sans cesse : peut-on remplacer le diesel des poids lourds par de l'hydrogène vert ou l'électrification reste-t-elle plus pertinente, surtout sur les trajets longs ? Après avoir suivi de près les innovations et discuté avec des acteurs du secteur, j'ai compris qu'il n'y a pas de réponse unique — mais des critères clairs pour choisir la solution la mieux adaptée à chaque usage.
Pourquoi l'hydrogène vert séduit tant ?
L'idée d'un carburant propre, stockable et rechargeable rapidement est naturellement séduisante pour le transport lourd. L'hydrogène vert — produit par électrolyse grâce à de l'électricité renouvelable — promet une mobilité sans émissions locales, avec des temps de ravitaillement comparables au diesel et une densité énergétique massique intéressante.
Concrètement, pour des poids lourds effectuant des >800 km par jour, l'hydrogène présente plusieurs avantages :
- Temps de recharge réduit : un plein dure généralement 10–20 minutes, contre plusieurs heures pour un rechargement batterie si l'on veut atteindre de longues autonomies.
- Autonomie supérieure : une pile à combustible peut offrir des autonomies proches de celles des camions diesel actuels, facilitant la continuité des opérations logistiques.
- Poids moindre pour longues distances : à très grande autonomie, les batteries deviennent lourdissimes ; l'hydrogène compressé ou liquéfié prend moins de poids pour une même énergie embarquée.
Les limites techniques et économiques de l’hydrogène
Pour autant, l'hydrogène vert n'est pas une panacée. Plusieurs obstacles techniques, logistiques et économiques freinent son adoption massive :
- Rendement énergétique : l'enchaînement électrolyse → compression/liquéfaction → transport → conversion en électricité via pile à combustible est énergétiquement coûteux. On perd une part importante de l'électricité initiale.
- Coût de production : aujourd'hui l'hydrogène vert reste cher par rapport aux carburants fossiles et aux solutions électriques, bien que les coûts des électrolyseurs baissent.
- Infrastructure : le réseau de stations hydrogène est encore embryonnaire, surtout pour la filière « vert » qui nécessite de l'énergie renouvelable dédiée et des sites de production proches des axes logistiques.
- Sécurité et logistique : la manipulation de l'hydrogène demande des normes strictes, des réservoirs spécifiques (H2 gazeux haute pression ou H2 liquide cryogénique) et une chaîne d'approvisionnement adaptée.
L’électrification batterie : l’option la plus mature
L'électrification par batterie s'est imposée comme la solution la plus évidente pour les véhicules légers et une part croissante du transport moyen. Pour les longues distances, l'offre évolue rapidement :
- Technologie mature : les batteries lithium-ion sont produites à grande échelle, la maintenance est plus simple et l'efficacité « du câble au moteur » est élevée.
- Coût total de possession (TCO) en baisse : le coût des batteries diminue, ce qui rend les camions électriques compétitifs sur certaines routes, surtout lorsqu'il y a un accès à une recharge rapide et à des réseaux électriques bon marché.
- Infrastructure de recharge : le déploiement de points de recharge haute puissance se développe (par ex. Ionity-like pour voitures), mais pour les poids lourds il faut des stations très haute puissance et parfois des solutions de recharge par induction ou des aires de recharge dédiées.
Comparaison pratique : hydrogène vs batterie pour trajets longs
| Hydrogène vert (pile à combustible) | Batterie électrique | |
|---|---|---|
| Autonomie | Bonne, similaire au diesel (500–1000 km selon capacité) | Variable; feasible 200–600 km aujourd'hui selon poids et batterie |
| Temps de ravitaillement | 10–30 minutes | 30 minutes à plusieurs heures (selon puissance) |
| Masse embarquée | Plus légère pour longues autonomies | Peuvent devenir très lourdes pour longues distances |
| Rendement énergétique | Bas (pertes importantes) électrolyse + conversion | Élevé (charge → batterie → moteur) |
| Infrastructure | Peu développée; forte intensité d'investissement | Se développe rapidement; plus simple à déployer |
| Coût | Actuellement élevé; dépend du prix de l'électricité renouvelable | En baisse; TCO compétitif sur routes régionales et urbaines |
Cas d’usage concrets : qui gagne quoi ?
En observant les projets pilotes et les premières flottes, je distingue plusieurs segments :
- Trajets régionaux / distribution urbaine : l'électrification batterie domine. Les arrêts fréquents et la possibilité de recharges opportunistes rendent la batterie idéale (ex. Mercedes eActros, Volvo FL Electric).
- Longue distance avec clauses logistiques strictes : l'hydrogène devient attractif pour des routiers qui ne peuvent pas rallonger leurs temps d'arrêt et qui parcourent de longues distances quotidiennes. Des acteurs comme Toyota, Hyundai ou Nikola parient sur la pile à combustible pour ces segments.
- Trajets mixtes / dépôts centralisés : les solutions hybrides (batterie + pile à combustible) commencent à émerger pour combiner recharge lente au dépôt et prolongation d'autonomie via H2 sur les segments long-courriers.
Facteurs déterminants avant de choisir
Voici, selon moi, les éléments que toute entreprise logistique doit analyser avant de choisir une technologie :
- Profil de mission : kilométrage journalier, possibilités de recharge au dépôt, fenêtres de disponibilité pour la recharge/rechargeur.
- Coûts sur le cycle de vie : prix d'achat, subventions, coûts énergétiques, maintenance, valeur résiduelle.
- Accès à l’hydrogène vert : proximité d'unités d’électrolyse, prix du kWh renouvelable dédié, garanties d'origine.
- Capacité à investir dans l’infrastructure : stations hydrogène, postes de recharge haute puissance, adaptation des sites logistiques.
- Régulations et incitations : taxes, bonus écologiques, zones à faibles émissions, qui peuvent renverser les équations économiques.
Ce que je vois dans les 5–10 prochaines années
Je m'attends à une cohabitation durable : l'électrique dominera la distribution urbaine et les trajets intermédiaires, tandis que l'hydrogène trouvera sa place pour des flottes long-courrier, des poids lourds lourds (chimie, ciment) et dans des corridors logistiques bien desservis en H2. Les investissements européens dans les couloirs hydrogène et les projets de hubs d’électrolyse peuvent accélérer cette trajectoire.
Enfin, des solutions industrielles et commerciales (comme les systèmes de recharge ultra-rapide, les swap-batteries, ou les co-implantations d'électrolyseurs près des dépôts) peuvent modifier la donne. Les constructeurs (Tesla Semi, Volvo, Scania, Hyundai) et les logisticiens testent différentes approches — c’est une période très dynamique où les décisions prises aujourd’hui façonneront la logistique de demain.